Authentification

Selon le type, l’origine et la valeur des objets, des objets contrefaits sont régulièrement introduits sur les marchés de l’art légaux et illégaux. Malgré le nombre insuffisant de statistiques relatives à la fabrication de faux biens culturels, l’on constate depuis quelques années la mise au point de nouvelles techniques et l’émergence d’une production industrielle, notamment pour les objets archéologiques. L’authentification des biens culturels pose par conséquent un réel problème aux acheteurs et demeure le seul moyen de lutter contre les faussaires et les contrefacteurs.

 

Les différents problèmes posés par l’authentification

Les personnes dont le travail consiste à traiter les cas de fraude dans l’art seront confrontées à différentes formes d’inauthenticité et devront notamment éviter de confondre deux notions bien distinctes :

  • l’objet contrefait, qui prétend être ce qu’il n’est pas et se caractérise par la confusion qu’il engendre autour de son authenticité ou de son créateur ;
  • la falsification, terme techniquement utilisé uniquement pour les faux documents écrits, qui peuvent étayer la provenance présumée d’un objet culturel.

Les objets contrefaits peuvent eux-mêmes être classés en plusieurs catégories, telles que l’œuvre d’art dont l’attribution est erronée, la copie (reproduction légitime), le pastiche (objet créé à la manière d’un artiste donné), etc.

Bien que la fabrication et la vente de biens culturels inauthentiques soient généralement illégales, la contrefaçon ne s’apparente pas nécessairement à une fraude, qui est déterminée en fonction des facteurs suivants :

  • présence d’une forme de tromperie de la part de l’accusé (généralement le vendeur de l’objet) ;
  • présence d’une victime de la tromperie ;
  • malhonnêteté, intention et connaissance des faits de la part de l’accusé.

 

Présentation générale

Les questions d’attribution et/ou d’authentification varient selon les différents domaines de l’histoire de l’art, des sculptures romaines aux objets précolombiens ou aux chefs d’œuvre de la peinture. Il peut n’exister que quelques experts – parfois un seul – à même d’authentifier correctement un objet dans chacun de ces domaines. Certaines catégories de biens culturels suscitent par ailleurs des avis contradictoires de la part d’un grand nombre d’experts. Pour certains artistes contemporains, il peut même se révéler difficile de trouver un expert, s’il n’existe ni études universitaires ni catalogue raisonné.
 
Le concept d’authenticité lui-même peut porter à confusion lorsqu’il concerne des objets indigènes contemporains. Certains peuvent être fabriqués en série, dans leur région d’origine ou ailleurs, et les matériaux changent au fil du temps. Il s’avère par ailleurs plus difficile de détecter les objets contrefaits et d’identifier quelles sont les caractéristiques « authentiques » de ces objets. S’agit-il de leur ancienneté, de leur lieu d’origine, de leur fabricant, des matériaux utilisés ou de leur valeur symbolique ou religieuse ? En Australie, un label a été créé pour protéger l’art aborigène. Faisant office de marque déposée, il a prouvé son efficacité, mais il serait impossible de le reproduire dans d’autres pays.
 
L’authentification peut par conséquent être une source de frustration pour l’acheteur d’un bien culturel, surtout s’il ne bénéficie pas des conseils d’un professionnel habitué à la complexité du processus. Les difficultés posées par l’authentification peuvent être décourageantes et conduire les collectionneurs à effectuer des acquisitions peu scrupuleuses. Il s’agit par ailleurs d’un processus onéreux, qui peut coûter très cher à la victime . Du point de vue de cette dernière, les pertes financières peuvent être évitées si l’œuvre n’est pas identifiée comme étant frauduleuse, de manière ce qu’elle puisse être remise sur le marché plus tard, et ce malgré son éventuelle inauthenticité.
 
Cependant, compte tenu de la valeur croissante de l’art, l’établissement de l’authenticité est de plus en plus reconnu comme un prérequis obligatoire par les assureurs, les collectionneurs et le monde de l’art. Associée aux nouvelles technologies, cette prise de conscience incite à la mise en place d’un processus d’authentification plus approfondi, plus précis et plus moderne.
 
Bien que de nombreux historiens de l’art émettent des avis personnels sur l’attribution ou l’authenticité d’une œuvre, il est recommandé de faire preuve de la plus grande prudence et de solliciter des conseils juridiques lors de l’authentification d’un bien culturel. La documentation relative à l’histoire de l’art, les connaissances stylistiques et les analyses techniques ou scientifiques représentent les trois aspects indispensables et complémentaires des meilleures pratiques en matière d’authentification et d’attribution. Ces trois aspects créent un ensemble de preuves, qui constitue la meilleure approche pour réaliser l’authentification et l’attribution, mais aussi la meilleure défense en cas de litige.
 

Documentation et provenance

La recherche de la provenance est un élément essentiel de l’établissement de l’authenticité et la première étape que doivent suivre les acheteurs. Étant donné que le manque de données sur la provenance accroîtra le risque d’acquérir un objet contrefait, il convient de prendre les plus grandes précautions avant de décider de l’achat. Dans l’idéal, la vérification complète de la provenance devrait comprendre toutes les étapes préconisées pour la conduite d’un processus de diligence raisonnable destiné à détecter des objets volés ou issus de pillage.
 
Concernant l’évaluation de l’authenticité, il sera accordé une attention particulière aux noms des propriétaires antérieurs, aux dates de propriété, aux lieux de conservation de l’objet et aux moyens d’acquisition, à l’historique des expositions, aux mentions de l’objet dans des ouvrages, en procédant à partir de son lieu d’origine et/ou de production. Ces informations comprennent toutes sortes de preuves tangibles: certificats d’authenticité, factures, correspondance, extraits d’inventaire, cartels de galerie ou d’exposition, catalogues de vente, inscriptions, marques ou tampons d’un collectionneur, etc.
 
Après l’acquisition, il faut impérativement préserver les preuves de la provenance, c’est-à-dire conserver tous les documents en lieu sûr et prendre toutes les précautions nécessaires lors de la conservation ou de l’encadrement de l’œuvre pour garantir que toutes les inscriptions, marques et autres signes distinctifs soient préservés.
 
Les recherches sur la provenance représentent une tâche difficile. Il est extrêmement rare d’arriver à collecter la documentation complète, qui par ailleurs n’est jamais fiable à 100 %. Les objets contrefaits présentent en effet souvent une provenance fausse. Comme les objets d’art volés, ils sont souvent accompagnés de documents falsifiés, dont la qualité est de plus en plus impressionnante. La réalisation de faux documents de provenance est devenue un domaine d’expertise de pointe qui peut constituer le pivot des fraudes organisées. Bien que les documents soient indispensables, les acheteurs de biens culturels ne peuvent désormais plus se fier exclusivement à eux. C’est pourquoi il convient de compléter avec d’autres méthodes les recherches sur la provenance.
 

L’expertise humaine

Lorsqu’une pièce n’est pas documentée ou que son authenticité est contestée, le marché de l’art s’appuie généralement sur l’avis d’autorités tierces, comme des universitaires, des conservateurs de musée, des vendeurs, de maisons de ventes aux enchères, des restaurateurs, les artistes, la famille des artistes défunts et – phénomène existant depuis la fin du XXe siècle – les comités d’authentification.

Ces pratiques courantes soulèvent plusieurs questions, notamment celles-ci :

  • l’expert peut-il être partial envers l’objet ou le propriétaire ?
  • la rémunération de l’expert est-elle supérieure à la norme ?
  • la méthodologie est-elle adéquate ?
  • qui a l’avis le plus pertinent ? (en cas de désaccord entre experts)

Compte tenu de ce contexte hasardeux, comment les agents du marché peuvent-ils rendre le processus objectif ? Dans certains pays, des experts sont nommés par les tribunaux comme étant détenteurs du « droit moral » et aptes à émettre un jugement. Il s’agit généralement des membres de la famille de l’artiste, désignés parfois quel que soit leur degré d’expertise. Le marché reconnaît également bien souvent ces détenteurs du « droit moral » comme des authentificateurs.

En l’absence de catalogue, les authentifications reposent sur les avis des experts, dans la mesure où ils existent. Même lorsque c’est le cas, ils peuvent avoir moins de crédit qu’un catalogue raisonné, quelle que soit leur qualification. Les avis d’expert « certifiés » sur l’authentification ou l’attribution ne sont ni infaillibles ni objectifs, sauf s’ils sont appuyés par un consensus.

Il est par conséquent recommandé que les historiens de l’art se prononcent uniquement sur les œuvres d’art qui relèvent de leurs compétences et qu’ils se montrent très prudents lorsqu’ils émettent un avis à titre strictement individuel.

Comités d’authentification

Compte tenu de la faillibilité de l’expertise individuelle, il est généralement préconisé de recueillir l’avis de plusieurs universitaires et conservateurs-restaurateurs, dans la mesure du possible, afin de parvenir à un consensus quant à l’authenticité ou l’attribution de l’œuvre.

Certains pays disposent de comités d’authentification pour des artistes précis. Ces comités font parfois partie de fondations qui possèdent elles-mêmes juridiquement l’expertise de l’authentification. Il existe différents types de comités, constitués selon diverses formes juridiques et pour servir des objectifs différents :

  • les comités qui vendent des objets (fondations, par exemple) et doivent dégager des revenus ; ils peuvent déclarer qu’une œuvre n’est pas authentique au motif qu’elle pourrait concurrencer les œuvres qu’ils mettent eux-mêmes en vente ;
  • les comités qui ne vendent pas d’objets (universitaires et historiens) et dont les motivations sont a priori désintéressées ; ils participent souvent à la rédaction du catalogue raisonné de l’artiste ou l’influencent ;
  • les comités constitués en réponse à problèmes particuliers (historiens de l’art, conservateurs, restaurateurs). Ce sont des groupes informels qui peuvent exercer une influence considérable.

A gauche : Agrippine accostant avec les cendres de Germanicus de J.M.W. Turner, comparé à un tableau identifié comme l’œuvre d’un copiste par l’IFAR.
Photos : International Foundation for Art Research (IFAR)

Catalogue raisonné

Les catalogues raisonnés proposent le recensement scientifique complet du travail d’un artiste, généralement classé par ordre chronologique, par technique ou par sujet. Ce sont des outils indispensables et des sources de premier ordre pour rechercher la provenance et établir l’attribution d’une œuvre, bien que leur qualité et leur exhaustivité varient considérablement. Ils sont généralement compilés par des artistes, des experts ou des universitaires respectés. Il est très fréquent que l’expert soit un parent ou un descendant de l’artiste, son éditeur, un de ses représentants, un archiviste, un chercheur, etc.
 
Malgré leur importance, ils posent un certain nombre de difficultés et de limites. Certains fournissent par exemple de nombreux détails (photos, médium, dimensions, état/éditions, constats d’état, travaux associés, numéro de référence, provenance, historique des expositions, etc.), alors que d’autres ne comprennent que très peu d’informations. Dans les deux cas, leur utilisation nécessite un œil professionnel exercé.
 
Leur accès reste par ailleurs limité et ils ne sont souvent disponibles que dans certaines bibliothèques ou institutions d’art. Se pose également le problème de leur révision, qui peut se révéler essentielle en cas de découvertes importantes. Enfin, la réalisation d’un catalogue représentant souvent le projet de toute une vie pour un universitaire, le recensement des oeuvres peut demeurer inachevé ou non révisé au moment du décès de l’auteur.
 

Méthodologie de base

Il est évident qu’il est impossible d’exercer une expertise correcte à partir d’une photographie. Un grand nombre de signes et de signaux contribuent à déterminer l’authenticité d’une œuvre. Savoir où regarder permet déjà d’atteindre une partie de l’objectif. Les éléments de base indiqués ci-après constituent un bon point de départ :

  • style ;
  • dimensions et proportion ;
  • matériaux (type, âge, oxydation, etc.) ;
  • fabrication, techniques et détails de construction ;
  • état ;
  • signature (technique, dimensions, localisation, mode) ;
  • inscriptions et marques ;
  • prix.

 

Expertise technique et scientifique

Il est recommandé que les historiens de l’art s’adressent à des spécialistes qui utilisent des techniques d’analyse reposant sur des technologies sophistiquées afin d’examiner les matériaux des objets.

Parmi les différentes techniques scientifiques utilisées par les experts, celles indiquées ci-dessous sont les plus courantes :

  • radiographie ;
  • fluorescence X ;
  • lumière UV et IR ;
  • thermoluminescence ;
  • tests de couleurs ;
  • analyse des matériaux (pigments, papier, bois, peinture, encre, fibre, etc.) ;
  • probabilité mathématique ;
  • dendrochronologie ;
  • carbone 14.

L’analyse chimique des pigments, l’analyse photographique ou radiographique de la structure, l’examen de la composition chimique de la toile ou du papier et l’analyse de la structure du bois ne peuvent attester de l’authenticité d’un objet mais peuvent prouver qu’il n’est pas authentique.

Statuette présentée comme un bronze assyrien antique, mais identifiée par l’IFAR comme une contrefaçon moderne ; à droite : radiographie montrant les soudures modernes.
Photos : International Foundation for Art Research (IFAR)

 

Microscopic examination of a painting submitted as a purported Jackson Pollock; detail.
Photos: International Foundation for Art Research (IFAR)

 

Questions juridiques

L’authentification repose sur un avis, or les experts peuvent se tromper. C’est pourquoi ils essaient souvent de se protéger de toute réclamation de la part des parties impliquées dans la transaction d’une œuvre ou de son propriétaire.
 
Les experts employés par une institution sont par conséquent encouragés à donner leur avis avec la pleine connaissance et le consentement de leur employeur, en étant couvert par sa protection juridique. Certaines institutions disposent de procédures précises pour ces situations. Ils s’efforceront également, dans la mesure du possible, de délivrer leur avis en privé, sur demande spécifique, en échange d’une indemnisation appropriée et  de la signature d’une décharge de toute réclamation.
 
Ils veilleront également à ne pas faire de commentaire sur la nature ou la réputation du vendeur ou du propriétaire de l’œuvre et à employer de préférence des expressions comme « attribution erronée » ou « incorrectement attribué à », plutôt que « contrefaçon » ou « falsification ».
 

Questions déontologiques

Le rôle des experts dans l’authentification des œuvres d’art ou des biens culturels soulève également de nombreuses questions déontologiques de fond. La plupart sont exposées en détail dans le Code of Ethics for Art Historians and Guidelines for the Professional Practice of Art History, publié par la College Art Association (CAA).

Le conflit d’intérêt constitue le premier risque déontologique associé à l’expertise. Les experts sont évidemment encouragés à ne pas légitimer l’authenticité ou l’attribution d’un objet qu’ils savent être contrefait, et – naturellement– à ne pas accepter d’indemnisation en échange. Pour un historien de l’art, il est ainsi contraire à la déontologie d’« authentifier » des œuvres d’art par voie de publicité pour influencer l’opinion publique.
 
Les historiens de l’art sont encouragés à ne pas demander d’indemnisation , sauf pour confirmer une authentification ou s’ils interviennent au titre d’experts techniques ou au sein d’un comité d’authentification reconnu.
 
Enfin, pour un musée, il est contraire à la déontologie d’organiser ou de financer une exposition dont l’authenticité ou l’attribution des œuvres est controversée, sauf si les doutes à ce sujet sont clairement indiqués ou si l’exposition vise précisément à contribuer à déterminer l’attribution des œuvres.
 

Résultats

Les procédures d’authentification peuvent aboutir à différents résultats. Dans de nombreux cas, l’œuvre sera reconnue comme authentique, qu’elle soit signée ou présente quelques éléments contradictoires. Dans le domaine des beaux-arts, il peut également s’agir d’une copie inconnue, réalisée par l’artiste à partir de ses précédents travaux.
 
Dans les cas les plus compliqués, les méthodes d’authentification échouent et il ne peut être établi de consensus. Les informations fournies par les recherches sur la provenance peuvent être insuffisantes ou peu fiables, les analyses techniques peuvent déboucher sur des résultats insatisfaisants ou les experts peuvent ne pas parvenir à un consensus. Dans ce cas, les avis contradictoires quant à l’authenticité ont de lourdes conséquences, les décisions juridiques définitives étant prises à partir des avis des experts. L’établissement de l’authenticité d’un bien culturel suppose la reconnaissance unanime d’un ensemble de preuves satisfaisantes, obtenues par l’association des trois méthodes précitées. Si les historiens de l’art ne parviennent pas à s’entendre sur l’authenticité d’un objet, le tribunal ne peut guère rendre une décision uniquement à partir de documents ou d’analyses techniques.
 
Si l’œuvre est déclarée non authentique, les conséquences vont de l’annulation de l’achat au déclenchement de poursuites en cas de fraude intentionnelle. Sans parler de l’incidence de l’acquisition d’objets non authentiques par un collectionneur ou un musée, un objet culturel présente plusieurs degrés d’authenticité. Il peut exister des objets entièrement contrefaits, des copies, mais aussi des objets transformés (assemblage de deux parties d’un meuble, par exemple) ou encore des objets qui ont subi des restaurations majeures ou mineures.