Définition
Selon le Code de déontologie de l’ICOM pour les musées,l’obligation de diligence est l’obligation de tout mettre en œuvre pour établir l’exposé des faits avant de décider d’une ligne de conduite à suivre, en particulier pour identifier la source et l’histoire d’un objet avant d’en accepter l’acquisition ou l’utilisation. En d'autres termes, l'obligation de diligence implique toutes les vérifications nécessaires de la provenance légale d'un objet culturel, c'est à dire l'historique complet d’un objet, y compris de ses droits de propriété, depuis le moment de sa découverte ou de sa création, qui permet d’en déterminer l’authenticité et sa propriété.
La question de la provenance étant l’un des concepts les plus importants lorsque l’on traite de la mobilité des collections et du transfert de propriété d’un bien culturel, l’obligation de diligence est l’une des meilleures pratiques pour prévenir le commerce illicite des objets culturels.
À cet effet, les personnes et les organisations impliquées dans les transactions concernant des objets culturels doivent appliquer des normes déontologiques strictes d’obligation de diligence. Cependant, de nombreux professionnels du patrimoine et marchands d’art ne connaissent pas le concept et les exigences de l’obligation de diligence, ni son cadre déontologique.
Cadre juridique et déontologique
L’obligation de diligence est l’un des concepts fondamentaux de la Convention d’UNIDROIT de 1995. Elle est clairement mentionnée à l’article 4.1 en tant que prérequis pour le paiement d’une indemnité équitable dans le cas du retour d’un bien culturel volé. Le texte donne de plus amples détails sur les éléments soumis à l’obligation de diligence dans son article 4.4 : les circonstances de l’acquisition, la qualité des parties, le prix payé, la consultation d’un registre relatifs aux objets culturels volés et toute autre information pertinente et accessible, ainsi que la consultation d’un expert.
L’obligation de diligence est aussi clairement mentionnée dans l’article 10 de la Directive de l’Union Européenne 2014/60/UE, qui contient des dispositions identiques à celles de la Convention d’UNIDROIT.
Ces deux instruments normatifs introduisent l’importance juridique de la pratique effective de l’obligation de diligence pour déterminer l’acquisition de bonne foi et la possible innocence de l’acheteur d’un objet d’origine douteuse.
L’obligation de diligence est également indirectement mentionnée dans la Convention de l’UNESCO de 1970, qui indique que les États parties doivent mettre en place des certificats d’exportation et interdire l’exportation de biens culturels à moins qu’ils ne soient accompagnés du certificat susmentionné (article 6). Le texte en appelle aussi aux États parties pour qu’ils prennent les mesures nécessaires en vue d’empêcher les musées et établissements similaires d’acquérir des biens culturels qui ont été illégalement exportés (article 7), et obliger les antiquaires à tenir des registres (article 10).
Plusieurs codes internationaux de déontologie ou de conduite incluent des dispositions sur l’obligation de diligence, plus ou moins détaillées : le Code de déontologie de l’ICOM pour les musées, le Code international de déontologie de l'UNESCO pour les négociants en biens culturels, le Code de conduite de l’AIAD, les Règles de l’IADAA, le Code de déontologie de la Confédération des négociants en œuvre d'art (CINOA) ou le Code de déontologie de l'ILAB.
De plus, des directives internationales sur l’obligation de diligence ont été développées par des organismes tels que l’Association internationale des négociants en art ancien (IADAA), la Fondation internationale pour la recherche sur l'art (IFAR) ou l’Institut de Bâle sur la gouvernance.
L’obligation de diligence comme bonne pratique
Toutefois, en raison du manque de contrôle et de vue d’ensemble par les autorités nationales compétentes sur les acquisitions d’objets et les procédures d’emprunt, de la diversité des documents requis par chaque État pour l’acquisition et le prêt d’objets, et de la transposition inégale du Code de déontologie et des conventions internationales en lois nationales, l’obligation de diligence reste une pratique basée sur la bonne foi, en dépit du cadre juridique et déontologique existant.
Les États sont encouragés à adopter le cadre déontologique de la Convention d’UNIDROIT comme principe directeur pour les questions d’acquisitions de biens culturels et la pratique d’obligation de diligence, ainsi que les dispositions de la Convention de 1970 sur les acquisitions, l’autorisation d’exportation et les obligations pour les négociants. Ils sont également conviés à intégrer ou adopter des dispositions du Code de déontologie de l’ICOM pour les musées et d’autres codes de déontologie ou de conduite pertinents pour l’obligation de diligence.
Conformément à ces principes et dispositions, les pays et institutions sont encouragés à promouvoir la transparence dans les procédures d’acquisition et les processus de prêt, mettre en place une méthodologie de supervision de la procédure d’acquisition, une politique d’importation (ainsi qu’un certificat d’importation) et l’utilisation de registres par les institutions comme par les personnes privées.
En ce qui concerne l’identification d’objets potentiellement volés, les autorités concernées devraient utiliser plusieurs bases de données d’objets volés avant de finaliser l’acquisition d’un objet, et s’assurer que les données qu’ils détiennent sur les objets volés sont intégrées à la base de données d’Interpol.
Le processus d’obligation de diligence
En dépit de l’inégalité du niveau de détails fournis par les différents instruments normatifs, l’étude des outils existants montre la prévalence d’un consensus sur les normes communes et la procédure à suivre au sujet de la documentation requise et des vérifications avant l’acquisition d’un bien culturel.
Les lignes directrices suivantes devraient aider les acheteurs à s’assurer qu’ils n’acquièrent et n’empruntent des objets que si ces derniers sont fiables tant sur le plan juridique que déontologique, et qu’ils rejettent les objets illicites. Il convient de les utiliser conjointement avec d’autres normes et règles nationales et internationales. Conformément aux présentes lignes directrices, l’acheteur d’un objet culturel doit le refuser en cas de doute aussi bien sur l’objet lui-même que sur les circonstances qui l’entourent, après avoir appliqué la procédure d’obligation de diligence. Ces lignes directrices s’appliquent aux acquisitions comme aux emprunts, ainsi qu’aux objets contemporains provenant de pays qui en limitent le commerce ou l’exportation.
Avant d’effectuer les vérifications entrant dans le cadre de l’obligation de diligence, il est nécessaire d’informer le vendeur, donateur ou prêteur que l’acheteur n’est pas en mesure d’acquérir ou d’emprunter des objets si l’obligation de diligence n’a pas été remplie de manière satisfaisante.
Première évaluation et documents à demander
La personne doit d’abord vérifier le prix du marché, l’identité du vendeur/donateur, sa qualité, la fiabilité de son organisation, afin de vérifier si son dossier peut être accepté. Ces informations aideront l’acheteur à décider si l’histoire du vendeur/donateur est convaincante.
Après les premières vérifications concernant le prix de l’objet et l’identité du vendeur, l’étape suivante consiste à vérifier la provenance de l’objet. Les acheteurs doivent être en mesure d’établir d’où vient l’objet, et quand et comment il a quitté son pays d’origine ainsi que tout pays intermédiaire. Il est primordial que les explications de la provenance de l’objet soient étayées par des pièces justificatives.
Voici les différents types de documents pouvant être demandés :
- Licence d’exportation du pays d’origine
- Publication dans une source fiable (catalogue annoté, catalogues d’exposition ou de ventes, etc.)
- Testament / inventaire
- Certificat d’authenticité
- Documents d’exportation
- Preuve photographique
- Correspondance familiale
- Notes de fouilles
- Etc.
Il est recommandé de faire preuve de la plus grande précaution avec les faux documents, ainsi que de consulter les autorités compétentes dans le pays de la transaction et/ou le pays d’origine en cas de doutes. Tout document douteux doit être refusé.
Cela étant, la documentation seule ne suffit pas. Un processus adéquat d’obligation de diligence doit inclure d’autres vérifications et considérations.
Examen complémentaire
Même si ce n’est pas toujours possible, il vaut mieux examiner l’objet personnellement pour déterminer plusieurs choses. Un examen approfondi (aspect, marques, etc.) devrait d’abord aider à déterminer si l’objet provient de fouilles illégales, s’il a été restauré, extrait d’un objet plus grand, prélevé d’une autre collection ou réserve.
Si rien n’est manifestement douteux quant à l’apparence physique de l’objet, il convient de tenir compte d’autres considérations sur son origine. Il est par conséquent important de déterminer si l’objet provident d’une zone sujette au trafic illicite. L’utilisation de documents tels que les Listes rouges de l'ICOM et d’autres recherches sont recommandées. Si l’objet provient d’une zone « à risque », une extrême rigueur doit être appliquée car certaines catégories d’objets provenant de ces zones sont souvent illégalement négociées.
Il faut également vérifier la situation de l’objet à l’égard du cadre juridique du pays d’origine (ratification des conventions internationales, accords bilatéraux et législation nationale), et de toute autre législation applicable au moment de son exportation.
Les bases de données d’INTERPOL et autres sur les objets culturels volés doivent être minutieusement consultées.
Il peut également être utile de demander l’aide de spécialistes indépendants ou travaillant auprès d’institutions ou d’organisations, selon leur domaine d’expertise à propos de la catégorie de l’objet : experts, musées, universités, ambassades, ICOM, UNESCO, autorités nationales, conseillers juridiques, etc. Les experts peuvent conseiller sur la région et l’objet, ainsi que sur d’éventuelles preuves de la provenance. Certains musées et professionnels de l’art peuvent aussi fournir des informations sur la fiabilité du vendeur /donateur. Toutefois, les conseillers ne peuvent pas être tenus pour responsables de l’achat de l’objet ni de ses conséquences.
Obligation de diligence renforcée
Une obligation de diligence renforcée peut être mise en place si la provenance ou l’authenticité de l’objet d’art soulève de sérieux doutes. Elle implique, au minimum, les efforts suivants :
- Obtenir une expertise indépendante supplémentaire
- Consulter des comités d’experts et obtenir un deuxième/d’autres avis
- Vérifier d’autres bases de données, registres et listes
- Effectuer une vérification professionnelle des références du vendeur (activités préalables dans le commerce de l’art, demandes d’informations aux organismes chargés de l’application de la loi, etc.)
Conflit d’intérêt
Il faut rappeler que l’avis d’un expert n’est pas valide si son indépendance professionnelle est sujette à des doutes. Les conditions de sa rémunération financière ne doivent pas empêcher la divulgation totale d’informations (exemple des honoraires conditionnels). L’expert mandaté doit aussi accepter de divulguer ses relations commerciales ou financières avec toutes les parties impliquées dans la transaction.
Prendre la bonne décision
Si le processus d’obligation de diligence soulève des doutes, il est fortement recommandé de ne pas mener l’acquisition à terme.
Le statut déontologique d’un objet peut être acceptable dans deux cas :
- Il existe une explication plausible de l’histoire de l’objet telle qu’elle est présentée par le vendeur, ainsi que d’autres preuves venant étayer le fait que l’objet a été légalement exporté, et un examen précis de l’objet a été réalisé.
- Le statut déontologique est clair, mais n’est accompagné d’aucune documentation. Si le droit en vigueur dans le pays le permet, l’acheteur doit demander une déclaration assermentée (affidavit) rédigée par un juriste.
Une fois la situation minutieusement évaluée, la décision d’acquérir l’objet ou non incombe entièrement à l’acheteur. S’il existe des causes raisonnables de penser qu’un acte criminel a été commis, il est également de sa responsabilité de le signaler à la police.
En cas d’acquisition, et si la vérification de la provenance s’avère satisfaisante, il est recommandé de créer et conserver en lieu sûr un fichier sur l’objet, en y indiquant les détails des moyens mis en œuvre pour exercer l’obligation de diligence, ainsi que tous les documents associés. En l’absence de documentation ou d’affidavit, les raisons qui ont motivé l’achat de l’objet doivent être clairement exposées.
Liste de contrôle pour l’obligation de diligence
La présente liste de contrôle n’est pas un document officiel. Elle peut aider à réaliser un examen attentif d’un objet et à poser les bonnes questions sur son origine. Les acheteurs potentiels ne sont pas censés être en mesure de tout couvrir, en particulier en ce qui concerne les objets de petite taille ; il s’agit simplement d’une indication des types de questions pouvant être raisonnablement posées. Les professionnels du patrimoine doivent aussi être conscients que l’archivage de données dans ce domaine s’améliore constamment, mais qu’il peut tout simplement ne pas être possible d’avoir connaissance de toutes les informations historiques concernant un objet.
Premières vérifications |
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Examen initial de l’objetxamen initial de l’objet |
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Documents à demander |
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Mesures de précaution à prendre lors du paiement |
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