La sensibilisation

Sensibiliser les publics et défendre la cause

Les acteurs et experts du patrimoine et d'autres secteurs peuvent lutter efficacement contre le trafic illicite des biens culturels à condition de bénéficier d’un important soutien de la part des acteurs politiques nationaux et internationaux. En l'absence d'implication de ces derniers, mobiliser les ressources financières et humaines nécessaires devient très difficile. Les organisations et institutions qui combattent ce crime contre le patrimoine culturel doivent donc mettre en place des activités de plaidoyer percutantes auprès des gouvernements et des politiciens.
 
Néanmoins, pour être efficace, ce plaidoyer doit être combiné à des actions de sensibilisation du grand public. La population sous-estime bien souvent le caractère criminel du trafic illicite des biens culturels, qu'elle perçoit parfois comme étant le fait de quelques « gentlemen cambrioleurs ». Déconstruire ces préjugés pour que le public prenne la mesure de ces crimes est un défi pour les pays sources et de destination impliqués dans la lutte contre ce trafic. Susciter l'intérêt général est une nécessité ; cependant, utiliser des canaux de communication permettant de créer un nouvel état d'esprit en matière de protection du patrimoine culturel suppose de créer au préalable des outils innovants.
 
Pour sensibiliser le grand public, il est crucial de lancer des campagnes de communication qui intègrent aussi bien des approches classiques (ateliers pédagogiques) que l'utilisation des nouvelles technologies (vidéos et réseaux sociaux). La communauté du patrimoine a pris un certain retard dans ce domaine, par rapport aux autres secteurs professionnels menant des activités de plaidoyer similaires. Les nouvelles technologies et Internet permettent de toucher facilement et rapidement des milliers d'individus sur toute la planète. Une campagne de sensibilisation efficace doit combiner les outils les plus innovants (réseaux sociaux, plateformes collaboratives) et des mécanismes plus classiques (vidéos, messages télévisés, cartes postales, panneaux d'affichage dans les gares et les aéroports, etc.).
 

Le rôle des médias

Depuis des décennies, les journaux et les actualités télévisées traitaient seulement d’un aspect particulier du trafic illicite, à savoir le vol d'œuvres d'art dans des musées renommés. Cette couverture médiatique lacunaire a empêché l'opinion publique de développer une compréhension complète du sujet à l'échelle mondiale.
 
La situation a brutalement changé en 2003, avec le pillage du musée de Bagdad. Cet événement a mis sur le devant de la scène un aspect du trafic encore peu connu : le commerce d'objets archéologiques pillés. Depuis, les médias de masse ont développé un intérêt croissant pour les vols de biens culturels, en particulier lors des conflits. La large couverture médiatique qui a mis en lumière l’état du patrimoine culturel pendant et après les manifestations en Égypte, le conflit armé au Mali et la guerre en Syrie en sont l'exemple le plus flagrant. Tous ces événements ont entraîné un nouvel attrait du public pour le trafic illicite du patrimoine culturel. Les médias se sont faits les alliés majeurs des organisations qui cherchent à obtenir le soutien de la population dans leur lutte contre le commerce illégal de biens culturels.
 
Aux journaux, chaînes télévisées et sites web renommés sont venus s'ajouter de nouveaux blogs et sites web spécialisés, grâce à la démocratisation d'Internet. Parmi les sites consacrés à la question du trafic illicite, on trouve celui créé dans le cadre du projet de recherche de l'université de Glasgow, Trafficking Culture. Cette plateforme en ligne propose des actualités et publications sur le sujet, ainsi que des études de cas détaillées.

Les médias spécialisés dans le domaine de l’art, tels que Le Journal des Arts, Connaissance des Arts, La Tribune de l’Art, Art Aujourd’hui ou The Art Newspaper, traitent régulièrement de cette question. D'autres se concentrent sur la prévention et sur la conservation du patrimoine culturel. C'est notamment le cas de The Getty Iris. On trouve également des publications spécialisées en archéologie, comme Archaeology, le magazine en ligne de l'Institut archéologique américain. Les sites web du marché de l'art, tels que Artnet, proposent eux aussi des informations de première main sur les objets volés. L'aspect juridique du problème est abordé par les sites web consacrés au droit de l'art.

A gauche : article sur le discours de John Kerry au Metropolitan Museum of Art à propos du pillage en Irak et en Syrie pendant la guerre (The Art Newspaper); à droite : article sur l'ex-escroc surnommé «Turbo Paul» (Artnet Magazine).

À ces sites s'ajoute toute une série de blogs qui ont vu le jour ces dernières années. Leur nombre est si important qu’il est difficile de trouver et d'identifier ceux qui sont neutres, fiables et sérieux. En revanche, on peut aisément en établir une courte typologie :

Le développement d'outils de communication

Différents outils, créés par les forces de l’ordre ou par des organisations de coopération policière internationale, sont destinés à être utilisés non seulement par ces organismes, mais également par le grand public. Leur objectif est de sensibiliser l'opinion publique au problème du trafic illicite des biens culturels et de répandre l'idée que cette question concerne tout un chacun. Par exemple, plusieurs sites web ont lancé des systèmes d'alerte, qui s'activent dès qu'un vol ou des fouilles illicites surviennent. Le système le plus connu est celui du site d'INTERPOL. D'autres organisations et institutions proposent des services similaires, comme Safety of Quebec ou Museum Security Network.

Récemment, le projet participatif en open source Looted Heritage a mis en place un système de géolocalisation visant à localiser les vols et pillages dans le monde entier, grâce au signalement des utilisateurs. Il a également cherché à rendre les systèmes d'alerte plus faciles d'utilisation pour les visiteurs. Une telle exploitation de données, encore inédite dans ce domaine, pourrait s'avérer très utile. Cependant, le principal obstacle reste la collecte d'informations.

 

Carte des incidents signalés (Looted Heritage)

Contrairement aux domaines pour lesquels la sensibilisation et les plaidoyers sont considérés comme des avantages stratégiques cruciaux, le secteur du patrimoine rencontre quelques difficultés à recourir aux documents de communication visuelle. Certaines organisations, telles que l'UNESCO ou INTERPOL, ont malgré tout utilisé ces outils par le passé. Les Listes rouges de l'ICOM illustrent elles aussi l'impact considérable des supports visuels en termes de communication et de sensibilisation. Certaines administrations gouvernementales utilisent parfois ces types de supports afin de sensibiliser leur population au trafic illicite de biens culturels. C'est le cas de l'Australie, du Bélize, du Pérou ou encore de l'Afrique du SudCes exemples pourraient bien inspirer d'autres pays qui souhaiteraient protéger leur patrimoine culturel du vol et des pillages.

De gauche à droite, Concours d’affiches contre le trafic de biens culturels (Bureau de l'UNESCO à Montevideo), affiche des œuvres d'art les plus recherchées (INTERPOL, 2013), Liste rouge d'urgence des biens culturels syriens en péril (ICOM).

De gauche à droite : Assurez-vous que c’est légal (Ministère australien de l'Art), affiches de la campagne de lutte contre le pillage (Institut national bélizien de la culture et de l'histoire), Biens culturels sud-africains volés (National Forum for the Law Enforcement of Heritage Related Matters).

Les musées et autres institutions culturelles peuvent également jouer un rôle important en organisant des expositions sur le trafic illicite. En juin 2014, le musée égyptien du Caire a décidé de consacrer une partie de sa salle d'exposition à cette question, et a présenté des images de dizaines de musées qui ont été pillés lors de la révolution avant que leurs objets soient finalement retrouvés. En 2012, le musée de Thessalonique a organisé une exposition intitulée « Trafficking of antiquities: Stop it!!! ». L'UNESCO et l'unité des Carabiniers spécialisée dans la protection du patrimoine culturel se sont quant à eux associés pour proposer une exposition sur les objets volés retrouvés, au siège de l'UNESCO.

Affiche de l'exposition « Trafficking of antiquities: Stop it !!! » (Musée de Thessalonique).

L'utilisation de vidéos est aussi extrêmement efficace. Malheureusement, le manque d'outils est encore une fois à déplorer. On peut toutefois citer quelques vidéos intéressantes, produites par INTERPOL ou par le Brooklyn Museum. Cependant, l'UNESCO reste la seule organisation qui se sert régulièrement de cet outil et produit des vidéos telles que « 40 ans de lutte contre le trafic illicite de biens culturels », « Fighting illicit traffic of cultural property in South-East Europe », ou les récentes séries « Alerte au pillage des biens culturels en […] » et « Le patrimoine culturel c’est l'identité. Ne le volez pas ! »

 

Les campagnes de sensibilisation

La communauté du patrimoine rencontre des difficultés à élaborer des stratégies de communication publiques, ce qui explique le petit nombre de campagnes de sensibilisation lancées. SAFE (Saving Antiquities For Everyone), une ONG américaine consacrée à la protection du patrimoine culturel, est l'une des rares organisations à avoir mis en place des opérations internationales de communication dans le but de toucher le grand public. L'ONG a d'ores et déjà lancé plusieurs campagnes innovantes : « Global Candlelight Vigil », « Who is …? », « Save Kashgar », et « Say Yes ».

Plus récemment, l'UNESCO, l'ONUDC et l'Organisation mondiale du tourisme ont lancé une campagne inspirante intitulée « Vos actes comptent : soyez un voyageur responsable ». Cette opération a pour objectif de sensibiliser les touristes de par le monde en leur montrant qu'ils peuvent eux aussi aider à lutter contre le trafic. Pour cela, elle les incite à mieux apprécier les principales implications criminelles qui se cachent derrière certaines des décisions que l'on prend lorsque l'on voyage.

De gauche à droite : la campagne «Say Yes» (SAFE) et la campagne «Vos actes comptent : soyez un voyageur responsable» (UNESCO, ONUDC et OMT).

Pour bon nombre de pays, le trafic illicite de biens culturels est un crime grave. Néanmoins, le grand public n'est pas au fait de ses conséquences scientifiques et culturelles, et ignore donc les implications légales et éthiques du commerce de biens volés ou pillés. À cet égard, ce type de larges campagnes de communication frappantes peut avoir un réel impact sur le public cible.

 

Les activités pédagogiques (dans les écoles, universités, etc.)

Les activités pédagogiques destinées aux étudiants de tous âges présentent une nette valeur ajoutée en ce qu’elles participent grandement à la sensibilisation du public. Plusieurs pays ont mis en place des programmes et outils visant à sensibiliser les enfants et les jeunes aux dégâts causés par le trafic illicite.

On peut notamment citer le programme « Witness the Past », développé récemment par l'Institut technologique et éducatif d'Athènes, qui est un bon exemple de contenu interactif et dynamique.

Les étudiants, en particulier ceux qui suivent des formations sur l'art, le patrimoine et l'archéologie, constituent une autre cible importante de ces programmes. Il est probable qu'ils seront pour la plupart confrontés à l'épineuse question du trafic illicite au cours de leur carrière.

 

Les publications

Des milliers de livres, articles et rapports ont été publiés sur le thème du vol, du pillage, du rapatriement et de la restitution. Ce sujet a suscité l'intérêt des professionnels de l'art et du patrimoine, mais aussi des archéologues, universitaires et étudiants du monde entier. Pourtant, à l'exception de rares articles dans des magazines et journaux, peu de publications sont destinées à un public autre que les experts ou amateurs éclairés.

La collection « Cent objets disparus » de l'ICOM figure parmi les quelques ouvrages destinés au grand public. Ces listes des 100 objets volés les plus renommés d'une région ou d'un pays donné visaient à souligner la gravité de la situation, tout en fournissant des informations directes, précises et claires.

En Pologne, l'Institut national de muséologie et de protection des collections publie depuis 1997 le magazine « Valuable, Priceless, Lost ». Celui-ci propose des articles sur une grande variété de sujets contemporains en rapport avec le trafic illicite des biens culturels.

En 2013, le magazine « Culture & développement », publié par le Bureau régional de la Culture de l'UNESCO pour l'Amérique latine et les Caraïbes, a consacré un numéro spécial à la lutte contre le trafic illicite.

De gauche à droite : «Cent objets disparus. Pillage en Amérique latine» (ICOM), «Valuable, priceless, lost» (Institut national polonais de muséologie et de protection des collections), «Stop au trafic illicite de biens culturels», Culture & développement n° 10 (UNESCO).

 

Conférences, réunions et séminaires

Bien que très au fait de la question, les experts et professionnels expérimentés doivent eux aussi être sensibilisés. Pour cela, il est particulièrement efficace d'organiser et de participer à des conférences, réunions, séminaires et ateliers sur des sujets connexes.

Le développement de l'accès à Internet dans le monde entier et l'apparition d'outils numériques ont ouvert grand la porte à de potentielles innovations dans le secteur du e-learning, des webinaires et des e-conférences. Il revient donc aux différentes parties prenantes, quel que soit leur champ d'activité, de ne pas laisser passer cette occasion d'attirer l'attention des professionnels du patrimoine, des fonctionnaires et des scientifiques.