Touristes, acheteurs occasionnels et autres acquéreurs mal informés
Rarement soupçonnés, les touristes et les acheteurs occasionnels peuvent facilement se retrouver impliqués dans une transaction illégale d’objets culturels. Ce phénomène a été aggravé par l’explosion du tourisme de masse au cours des vingt dernières années.
Ces mêmes touristes, en raison de leur manque d’expérience dans l’achat d’œuvres d’art ou d’antiquités, sont des proies faciles pour les vendeurs qui s’adonnent au recel d’objets volés ou issus de fouilles illégales. À leur insu ou en connaissance de cause, ces acheteurs occasionnels peuvent aisément se retrouver impliqués dans des transactions frauduleuses, utiliser de faux documents ou commettre tout autre type d’infraction. Bien qu’ils enfreignent la loi, ils font preuve de bonne foi et sont souvent victimes de leur méconnaissance de la loi ou des démarches administratives à accomplir pour acquérir un objet d’art ou une antiquité.
Boutique de souvenirs à Épidaure, Grèce. Photo : Virtual Tourist
Communautés locales
Dans beaucoup de pays en développement, les difficultés économiques sont la principale raison qui pousse les communautés locales à alimenter ce commerce illicite. Dans beaucoup de régions du monde, il arrive que certains membres des communautés locales s’adonnent au pillage ou à la vente de pièces archéologiques pour des raisons financières évidentes. C’est notamment le cas dans plusieurs pays d’Amérique latine, où ce phénomène est parfois appelé la « guaquería », ou plus récemment en Afghanistan.
Agissant généralement en début de chaîne, les communautés locales vendent souvent à des prix dérisoires les objets archéologiques qu’ils ont eux-mêmes extraits du sol au cours de fouilles illégales.
Guaquero présentant une trouvaille. Photo : Trafficking Culture
Délinquants attirés par l’appât du gain
L’une des caractéristiques du trafic illicite des biens culturels est sa rentabilité. Il s’agit d’une activité souvent décrite comme étant à la fois très rentable et peu risquée. La trop grande clémence des sanctions prévues par la loi, associée à l’abondance de biens culturels qu’il est possible de voler ou piller pour alimenter le marché, rendent cette activité illicite d’autant plus intéressante pour des personnes déjà impliquées dans d’autres activités criminelles.
Qu’il s’agisse de voleurs, de pilleurs ou simplement d’intermédiaires, opérant de manière ponctuelle ou régulière sur le marché illégal, les délinquants se tournent facilement vers cette activité lucrative. Néanmoins, il est difficile de dresser le portrait type des auteurs du trafic illicite des biens culturels. Leurs antécédents criminels, leur degré d’implication et leur niveau d’expérience varient énormément, tout comme leurs sources d’approvisionnements, leurs marchés et leurs réseaux.
Enquête criminelle après le vol de plusieurs tableaux célèbres au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Photo : DR
Criminalité organisée
Selon la définition de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale, tout trafic international de biens culturels, dans la mesure où il implique au minimum trois personnes, relève de la criminalité organisée.
Le rôle des organisations mafieuses dans les crimes liés aux biens culturels est un autre sujet. Depuis toujours, les experts et les agents des forces de l’ordre soupçonnent l’existence de liens, même sporadiques, entre ces groupes criminels et le trafic illicite des biens culturels. En effet, ils estiment que des réseaux criminels déjà établis pour d’autres trafics peuvent être mis à contribution pour réaliser des transferts de biens culturels volés ou pillés. Malheureusement, de tels liens restent difficiles à établir avec certitude, compte tenu du manque de données et d’analyses spécifiques adaptées.
En Italie par exemple, malgré la solide expérience du sujet et l’expertise de la section de Protection du patrimoine culturel des Carabineri, il n’est pas possible de confirmer l’existence d’un lien solide et ancien entre les organisations mafieuses et le trafic d’objets culturels. En outre, l’expérience nous montre que les réseaux criminels opèrent généralement à petite échelle et avec un nombre restreint d’agents.
En revanche, dans d’autres régions du monde, les liens avec la criminalité organisée apparaissent clairement. Dans le sud-est de l’Europe par exemple, des affaires récentes ont permis de démontrer clairement le rapport existant entre le transfert de biens culturels volés et certains groupes criminels impliqués dans le trafic d’armes ou de drogue.
En Serbie, des membres de la police surveillent la toile volée « Le Garçon au gilet rouge », de l’impressionniste français Paul Cézanne. Belgrade, Serbie, jeudi 12 avril 2012. Photo : Darko Vojinovic/Associated Press
Voleurs compulsifs
Les objets culturels, plus particulièrement ceux empreints d’une forte valeur artistique, historique ou culturelle, peuvent déclencher des comportements délictuels chez des personnes qui agissent de façon compulsive, dans le seul but d’obtenir une œuvre d’art ou un objet archéologique particulier. L’identification de ces voleurs compulsifs est compliquée, car ceux-ci peuvent être aussi bien des conservateurs du patrimoine ou des guides, que des touristes lambda agissant sur un coup de tête.
Collectionneurs privés
Les collectionneurs privés font figure d’exception parmi l’ensemble des individus qui s’adonnent au commerce illicite des biens culturels. Leur implication dans ce type de transactions pose deux problèmes aux organismes de lutte : le secret dans lequel ils opèrent souvent et l’insuffisance des normes juridiques et déontologiques qui encadrent leurs activités commerciales.
Au cours des dernières années, la situation a connu des améliorations, notamment grâce à un contrôle plus assidu des ventes et à la prise de conscience des précautions qui s’imposent lors de l’acquisition d’un objet d’art. Toutefois, des mesures supplémentaires sont nécessaires afin d’encourager les collectionneurs privés à adopter un comportement plus éthique.
Giacomo Medici, marchand d’art reconnu coupable de trafic illicite, contemple le trapézophore avec deux griffons qui dévorent une biche. Photo : Il Giornale Dell'Arte
Marché de l’art
Pendant des années, le marché de l’art a été considéré comme l’un des moteurs du trafic illicite des biens culturels, en particulier dans les pays occidentaux. Les affaires de pièces volées présentées aux enchères dans les plus grandes maisons de vente faisaient régulièrement la une des journaux.
Bien que les intérêts financiers, l’auto-régulation et le secret professionnel prévalent encore dans le secteur, et ce parfois aux dépens de la déontologie et de la recherche de la provenance légale des objets, la situation a considérablement changé au cours des dix dernières années, du moins pour les acteurs du marché les plus en vue. La prise de conscience de l’opinion publique et l’accumulation d’affaires ayant terni la réputation de la profession ont eu des retombées très positives, en particulier sur les grands noms des maisons de vente.
Le manque de diligence quant à la vérification de la provenance des objets demeure un sujet d’inquiétude. Toutefois, le changement de comportement des grandes maisons de vente, ainsi que l’émergence d’associations de professionnels dotées de codes de conduite ou de déontologie ont marqué un tournant pour la profession ces dernières années.
Malheureusement, outre le fait que certaines maisons de moindre envergure sont moins regardantes sur l’éthique des acquisitions, le développement des nouvelles technologies a permis à une nouvelle tendance d’émerger et de prospérer : la vente en ligne. Internet est aujourd’hui un marché hors de contrôle, où s’échangent des biens culturels volés ou pillés.
Scientifiques et universitaires
Le rôle des scientifiques et des universitaires dans le développement du trafic est souvent sous-estimé, voire ignoré. Pourtant, plusieurs articles ont déjà mis en lumière l’implication d’universitaires dans des transactions frauduleuses ou des activités en lien avec le trafic illicite des biens culturels.
Il existe peu de codes de conduite régissant le travail des archéologues ou des historiens de l’art mentionnant l’interdiction de soutenir de manière directe ou indirecte le trafic illicite d’objets culturels. Les scientifiques et les universitaires peuvent être impliqués dans ce trafic de différentes manières : participation à des fouilles clandestines et à des fins non scientifiques, vente d’objets provenant de fouilles légales, transactions portant sur des objets pillés, faux comptes-rendus d’expertise ou production de faux certificats.
Le Trésor de Priam, sorti illégalement de Troie dans les années 1870 par l’archéologue allemand Heinrich Schliemann. Photo : Wikipédia
Lieux de conservation du patrimoine
Même si, en raison du passé, les musées sont encore les principaux destinataires des demandes de retour ou de restitution d’objets sortis légalement ou illégalement de leur pays d’origine, les musées ont aujourd’hui changé leurs pratiques déontologiques et ne sont plus les acquéreurs les plus problématiques en matière d’objets de provenance douteuse.
Le développement de normes déontologiques et de procédures strictes dans le monde muséal, sans compter l’implication de certains musées prestigieux dans des affaires judiciaires, a transformé en profondeur la politique institutionnelle des acquisitions. C’est particulièrement vrai en Europe et en Amérique du Nord, où des outils et des pratiques voient le jour afin de garantir la légalité des transactions visant des biens culturels. Les musées ne doivent plus être considérés comme les destinataires logiques d’objets culturels volés ou pillés. Plusieurs membres de la communauté muséale adhèrent aux normes déontologiques reconnues mondialement, telles que le
Code de déontologie des musées de l'ICOM.
Qui plus est, le développement tous azimuts d’activités muséales dans certaines régions du monde représente un nouveau défi pour la communauté internationale des musées. En effet le champ d’application des procédures d’acquisition et des normes déontologiques qui sont aujourd’hui déjà largement observées, s’en trouve étendu.
Le cratère d'Euphronios, restitué à l’Italie par le Metropolitan Museum of Art en 2006. Photo : Wikipédia
Responsables publics et diplomates
De même que pour les universitaires, l’implication des diplomates nationaux et internationaux dans le trafic illicite des biens culturels demeure un sujet tabou, peu documenté et sensible.
Plusieurs affaires ont déjà permis de montrer que l’immunité diplomatique et les voies diplomatiques sont parfois utilisées afin de faciliter l’importation, l’exportation ou le transfert de biens culturels de provenance douteuse. Dans certains États, des responsables publics ont été condamnés pour avoir produit et vendu des permis de fouilles illégaux.
Militaires
Au fil de l’histoire, on a pu largement constater la vulnérabilité des zones de conflit face au pillage et au vol, à cause du défaut de protection des biens culturels dans ces situations particulières.
Ainsi, plusieurs raisons peuvent inciter le personnel militaire, indépendamment du camp qu’il défend, à prendre part au trafic illicite des biens culturels. Que ce soit dans le cas d’un vol spontané ou commandité, la vente illégale d’objets culturels s’explique avant tout par la source de revenus qu’elle représente. Toutefois, les objets sont parfois conservés comme simples « souvenirs ».
Le pillage des biens culturels d’un État ou d’une région peut également s’inscrire dans une stratégie militaire consistant à piller (butin de guerre) ou à détruire la valeur symbolique du patrimoine culturel de l’ennemi.
Dans ce domaine également, la situation a évolué et des progrès ont été réalisés grâce à la promotion de normes et de manuels de formation pour la protection du patrimoine culturel dans les zones de conflit, comme cela a été le cas au sein de l’armée américaine.
Le général Eisenhower, commandant suprême des forces alliées, inspecte des œuvres d’art retrouvées cachées dans une mine de sel en Allemagne. Photo : Wikipédia
Entreprises privées
Concernant le cas particulier du pillage de sites archéologiques subaquatiques, plusieurs affaires ont mis au jour l’implication d’entreprises privées ayant pillé des sites alors qu’elles réalisaient des forages ou d’autres opérations sous-marines légales.
Certaines sociétés ont par exemple reçu un mandat de leur gouvernement pour entreprendre des recherches de patrimoine subaquatique, dans l’optique de partager les fruits de ces explorations et de sauvegarder des épaves. Toutefois, on sait que certaines entreprises ont parfois dissimulé des fragments de leurs découvertes afin de les revendre de manière illicite dans d’autres pays et/ou sur Internet.