Les solutions : comment combattre le trafic?

Lutter contre le trafic illicite représente un défi complexe nécessitant le développement et l’utilisation d’une panoplie d’outils juridiques et pratiques créés et mis en œuvre au cours des cinquante dernières années afin de tenter de réguler le marché de l’art et de mieux contrôler le mouvement des biens culturels par-delà les frontières.
 

Sensibilisation du public

Peu de sociétés ont été en mesure de criminaliser une activité et de la combattre sans l’accord et le soutien de la population. Pour lutter efficacement contre le commerce illégal des biens culturels, il faut qu’il soit considéré comme un crime grave par le grand public. C’est en s’adressant à l’opinion publique par des canaux de communication différents qu’un changement des mentalités sera possible.
 
La communication publique est la clé de la sensibilisation. L’utilisation des nouvelles technologies et des outils du Web permet aux acteurs nationaux et internationaux de s’adresser facilement et rapidement à des milliers de personnes dans le monde. Entre autres objectifs, la communication publique est l’un des buts principaux de l’Observatoire international du trafic illicite des biens culturels. L’utilisation combinée de ces outils innovants et des outils de communication plus conventionnels (vidéos, spots télévisés, cartes postales, panneaux d’affichage dans les gares et les aéroports, etc.) est essentielle pour le développement de campagnes de sensibilisation efficaces à grande échelle auprès du grand public.
 

Vidéo de la campagne de l’UNESCO « Heritage is Identity - Don't Steal It » (Le patrimoine culturel c’est l’identité. Ne le volez pas !). Photo : UNESCO

À cet égard, les médias de masse et spécialisés jouent un rôle majeur pour attirer l’attention du public. Le rôle des médias de masse a d’ailleurs changé ces dix dernières années. Le pillage du musée de Bagdad en 2003 a marqué un véritable tournant quant à leur intérêt et leur positionnement sur cette question. Il peut être délicat de communiquer avec les médias en cas de vol, et il faut souvent mettre en place des stratégies de communication dans ces situations de crise afin de préserver la réputation du lieu concerné. Cela étant, les médias restent l’un des outils les plus puissants de mobilisation du grand public comme des parties prenantes pour la protection du patrimoine culturel contre le trafic illicite.

Un soldat irakien présente des artéfacts antiques découverts en décembre 2008 dans la partie nord de Bassorah. Photo : Wikipédia

C’est dans les écoles et les universités que débute la sensibilisation. Des outils pédagogiques intéressants ont été développés et testés dans plusieurs pays, prouvant leur capacité à sensibiliser les enfants et les adolescents à l’importance de préserver le patrimoine culturel. Les étudiants plus âgés constituent également une cible importante de ces programmes, en particulier ceux qui suivent des enseignements en art, archéologie et patrimoine. Dans ces filières de formation, un pourcentage élevé d’étudiants envisagent de travailler dans un lieu de conservation, une université ou le marché de l’art et seront donc confrontés, d’une manière ou d’une autre, à l’épineuse question du trafic illicite.
 
Malgré leur expertise et de leur compréhension de la question, il est tout aussi important de sensibiliser les professionnels expérimentés. Organiser et participer à des conférences, des réunions, des séminaires et des ateliers sur des sujets en lien avec ce thème est particulièrement efficace pour éveiller les consciences des professionnels et maintenir leur vigilance.
 

Ratification de conventions internationales

Le développement d’une base juridique internationale solide est au cœur d’une coopération transnationale efficace pour lutter de manière constructive contre le trafic. Il est fondamental de ratifier les deux instruments internationaux majeurs que sont la Convention de 1970 de l'UNESCO et la Convention d'UNIDROIT de 1995, et les pays peuvent difficilement prétendre lutter contre le trafic et espérer la restitution des biens volés sans signer ces instruments internationaux ou en implanter les principes fondamentaux. 

Alors que la ratification n’est guère efficace sans une mise en œuvre adéquate, seuls quelques-uns des 134 États parties à la Convention de 1970 ont appliqué rigoureusement l’instrument. La Convention exige l’adoption d’une série de mesures essentielles par les pays. Cela va de l’inventaire des biens culturels nationaux à la création de services spécialisés dans la lutte contre le trafic.

Logo of the UNESCO Convention on the Means of Prohibiting and Preventing the Illicit Import, Export and Transfer of Ownership of Cultural Property. Photo: UNESCO

Pour ce qui est de la Convention d’UNIDROIT de 1995, qui a été à ce jour ratifiée par seulement 42 pays, les possibilités qu’elle offre aux autorités nationales et aux particuliers sont souvent mal comprises ou sous-estimées. Toutefois, l’« esprit » de la convention et ses grands principes (comme l’obligation de diligence) gagnent du terrain au sein de la communauté internationale et des professionnels de l’art et du patrimoine. À vrai dire, ils ont une influence croissante sur l’évolution des pratiques nationales et régionales ainsi que celles des cadres juridiques.

 

Rôle des organisations internationales et coopération

Les organisations internationales jouent un rôle majeur dans la sensibilisation, la promotion des instruments juridiques, le développement d’outils pratiques, la formation des professionnels et le renforcement de la coopération internationale. Le Conseil économique et social des Nations unies (CESNU) reconnaît officiellement un groupe international d’experts regroupant six organisations qui travaillent en étroite collaboration en vue d’unir leur expertise dans le domaine : le Conseil international des musées (ICOM), l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL), l’Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT), l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’Organisation mondiale des douanes (OMD).

Ce groupe international d’experts reconnus, ainsi que d’autres ONG et organisations intergouvernementales, participent aux efforts internationaux visant à limiter le trafic illicite des biens culturels. Face à des criminels transnationaux qui savent parfaitement comment se jouer des lacunes juridiques et opérationnelles, la coopération internationale est un élément clé dans les domaines suivants : normalisation des pratiques et des cadres juridiques, échange d’informations, contrôle du transport des biens culturels, enquêtes conjointes, poursuites, dialogue pour le retour ou la restitution des biens culturels volés ou pillés, etc.

De gauche à droite, les membres du groupe international d’experts : ICOM, INTERPOL, UNIDROIT, UNESCO, ONUDC et OMD

 

Utilisation d’accords multilatéraux et bilatéraux

Vu la difficulté à atteindre un fort consensus juridique international en la matière, le nombre d’accords bilatéraux et multilatéraux s’est multiplié ces dernières années. L’Union Européenne est un parfait exemple d’une situation dans laquelle la nécessité d’avoir un cadre commun pour le contrôle et le statut des biens culturels étrangers au sein du marché commun a forcé les institutions européennes à s’attaquer au problème, et à refondre la Directive 93/7/CEE du Conseil relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre.

Au niveau bilatéral, de grands progrès ont été accomplis par des pays tels que les États-Unis ou la Suisse qui ont signé des accords bilatéraux avec des pays particulièrement exposés au pillage de biens archéologiques. Souvent, ces accords bilatéraux interdisent totalement l’importation de certaines catégories de biens culturels sans documentation adéquate et instaurent un cadre spécifique pour leur retour ou leur restitution à leur pays d’origine.

 

Rôle des autorités publiques

Au niveau national, de nombreuses exigences dépendent en réalité du bon vouloir des gouvernements. La ratification et la mise en œuvre d’instruments juridiques internationaux viennent en tête, et impliquent le renforcement des législations nationales, en particulier dans les domaines suivants :

  • Définition des biens culturels nationaux
  • Conditions juridiques requises pour l’importation, l’exportation et le transfert de propriété de biens culturels (certificats d’exportation, registres pour les négociants d’art et d’antiquités, etc.)
  • Définition et mise en œuvre de procédures strictes d’obligation de diligence pour l’acquisition de biens culturels
  • Mise en place de sanctions en cas de violation de la législation nationale
  • Transposition des règles déontologiques professionnelles dans les lois nationales

Sur un plan plus pratique, les administrations publiques sont fortement encouragées à prendre les mesures suivantes :

  • Mise en place d’un ou plusieurs services nationaux pour la protection du patrimoine culturel
  • Mise en place et mise à jour d’inventaires nationaux
  • Développement d’institutions de conservation
  • Supervision des fouilles archéologiques et promotion des recherches scientifiques associées
  • Mise en place de règles déontologiques pour les professionnels de l’art et du patrimoine, englobant le marché de l’art
  • Sensibilisation du public
Le trafic illicite est un sujet sensible, essentiellement du fait que la question du retour et de la restitution des biens culturels soulève les passions et implique les identités culturelles et la fierté nationale. À cet égard, les États doivent incontestablement respecter la législation nationale et internationale, et garantir une entière coopération pour faciliter le retour ou la restitution à leur propriétaire légitime de biens culturels volés et/ou exportés de manière illicite.
 
Dans le même temps, une forte proportion de litiges concernant la propriété des biens culturels n’est pas couverte par la loi, et ces cas doivent être étudiés en se fondant sur des principes scientifiques, professionnels et humanitaires. À cet effet, il est absolument essentiel de mener un dialogue constructif, tant au niveau individuel, que communautaire, institutionnel ou politique, dans le but de trouver une solution adéquate pour toutes les parties impliquées. De plus, les gouvernements ne doivent pas oublier que les vols et pillages d’aujourd’hui donneront lieu aux demandes de restitution de demain. Il convient donc d’accorder la priorité à la lutte contre le trafic illicite actuel afin d’éviter de futurs litiges et querelles diplomatiques.
 

Contribution des organismes chargés de faire respecter la loi et coopération intersectorielle

La Convention de 1970 exige la création de services nationaux pour la protection du patrimoine culturel. Les gouvernements désireux de mieux contrôler le commerce et les mouvements de biens culturels ont sans doute tout intérêt à créer un service de police spécialisé dédié au patrimoine culturel. Dans de nombreux pays, comme en Italie, aux États-Unis, en France ou en Espagne, ces services ont considérablement amélioré la capacité du pays et son expertise en matière de lutte contre le trafic.

Généralement, les agents des forces de l’ordre ne sont pas formés à protéger le patrimoine culturel et ils sont rarement au courant des enjeux culturels, financiers et politiques du trafic illicite des biens culturels. Qu’ils ne comptent que deux personnes ou plus de vingt, les services spécialisés existant assurent la liaison entre l’application de la loi et le patrimoine culturel. Ils peuvent donc être placés sous l’autorité du Ministère de la culture, comme c’est le cas en Italie.

Toutefois, il ne suffit pas de mettre en place ces services s’ils travaillent de manière isolée. Ils ne peuvent en effet pas jouer de rôle vraiment décisif à moins de coopérer étroitement avec d’autres administrations et secteurs concernés par le problème : patrimoine culturel, douanes, justice, affaires étrangères et marché de l’art. Pour favoriser la coopération intersectorielle, la solution peut résider dans la création d’une équipe opérationnelle intégrée regroupant des représentants de ces différents secteurs.

De gauche à droite : le Corps des carabiniers pour la protection du patrimoine culturel (Italie), le Programme relatif au vol d'œuvres d'art du FBI (États-Unis) et l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (France)

 

Développement et utilisation d’outils pratiques

Un vaste éventail d’instruments pratiques a été développé au cours des dernières décennies pour soutenir le travail des organisations internationales, des organismes chargés de faire respecter la loi, des administrations d’État et des professionnels du patrimoine. Ils s’adressent en particulier aux services policiers et douaniers.

L’inventaire étant le meilleur moyen de protéger un bien culturel, il existe déjà des dizaines d’outils pour aider les particuliers et les institutions à inventorier et gérer leurs collections. Toutefois, INTERPOL, l’UNESCO, l’ICOM, les organisations du patrimoine culturel, les organisations de commerce  de l’art et d’expertise de l’art, ainsi que les compagnies d’assurance recommandent l’utilisation d’une norme internationale spécifique définissant les informations minimales nécessaires pour documenter des collections de biens archéologiques, culturels et artistiques : la norme Object ID. Élaborée par le J. Paul Getty Trust, la norme Object ID simplifie la récupération d’un bien en cas de vol. Elle est aussi compatible avec la base de données sur les œuvres d'art volées d'INTERPOL.

Logo de la norme Object ID

Outre les inventaires institutionnels et nationaux, l’utilisation d’une base de données de biens culturels volés fait également partie des conditions essentielles pour localiser les objets volés et empêcher une transaction. En dépit de l’importance des bases de données nationales, l’utilisation de la base de données sur les œuvres d’art volées d’Interpol reste le meilleur moyen, pour tout le monde, d’accéder à des informations sur les biens volés dans quelque pays que ce soit.

Dans la liste des instruments pratiques conçus pour les forces de l’ordre, les Listes rouges de biens culturels en péril de l'ICOM les aident à identifier, pour un pays ou une région donnée, les catégories de biens particulièrement exposés au trafic. Pour renforcer le contrôle sur l’exportation des biens culturels, les services douaniers peuvent par ailleurs se servir du Modèle UNESCO-OMD de certificat d'exportation de biens culturels.
 
Ce ne sont là que quelques exemples parmi la longue liste de lignes directrices, normes, bases de données, catalogues, outils de normalisation et de communication publique qui ont été développés pour aider à lutter contre le trafic illicite des biens culturels.
 

Mise en place d’une déontologie professionnelle au sein de la communauté de l’art et du patrimoine

Il y a, de facto, trois types de professionnels exposés au trafic illicite des biens culturels : ceux qui sont impliqués dans l’étude des biens culturels, ceux qui participent à leur protection et à leur exposition, et ceux qui assurent leur commerce. En l’absence d’un cadre juridique fort et devant l’impossibilité de contrôler toutes les transactions concernant des biens culturels, il est impératif d’établir de solides principes moraux pour la gouvernance d’un comportement professionnel ou la conduite d’une activité. Dans certains contextes, les codes de déontologie internationaux ou nationaux restent les seules références normatives existantes régissant la conduite professionnelle.
 
De nombreux codes de déontologie et lignes directrices ont été élaborés et révisés dans plusieurs secteurs professionnels : archéologues, historiens de l’art, professionnels des musées, libraires, archivistes, marchands d’art, etc. Ils sont tous destinés à différents contextes et traitent différentes questions. Cependant, en dépit du nombre élevé de principes répertoriés dans ces instruments, on constate un manque flagrant d’harmonisation sectorielle et géographique concernant la prévention du trafic illicite des biens culturels. Des efforts doivent être menés dans ce sens.
 
Les principes déontologiques interviennent avant les lois, ils ne sont pas juridiquement contraignants (sauf lorsqu’ils ont intégrés dans un texte de loi), et les autorités compétentes sont souvent dans l’incapacité de surveiller leur bonne application, d’enquêter et de sanctionner tout manquement. Par conséquent, leur efficacité repose essentiellement sur l’autorégulation. Toutefois, ils jouent un rôle prépondérant pour prévenir le commerce illégal de biens culturels pour les raisons suivantes :
• Une violation de leurs règles peut avoir des conséquences négatives directes pour un individu, une institution ou une entreprise ;
• Ils incluent souvent les principes des instruments internationaux majeurs, même dans des pays qui n’en sont pas signataires ;
• Leur utilisation dans les tribunaux revêt une importance cruciale pour le développement de la jurisprudence.
 

Code de déontologie de l’ICOM pour les musées

 

Renforcement de la sécurité des biens culturels

Même si cela ne s’attaque pas à la racine du problème, sécuriser les biens culturels reste le premier outil qui s’impose contre le trafic illicite des biens culturels. En fonction des moyens disponibles et du contexte, la sécurité peut être assurée en s’appuyant sur différentes méthodes, qu’elles soient techniques (casiers, vitrines, etc.), électroniques (caméras, alarmes, etc.) ou humaines (gardes, police, etc.).
 
Au cours des dernières décennies, les nouvelles technologies ont contribué au développement d’ outils de sécurité de haut niveau. Mais, si ces instruments de haute technologie peuvent être très séduisants, de nombreux arguments tendent à prouver qu’ils ne peuvent pas totalement garantir la sécurité d’un site ou d’un musée. Tous les experts s’accordent à dire qu’une sécurité optimale ne peut être obtenue que par le biais d’une combinaison intelligente entre des moyens humains et mécaniques.
 
De plus, l’efficacité des systèmes de sécurité variera d’un endroit à un autre. S’ils avèrent très efficaces dans les musées, ils le sont beaucoup moins sur les sites archéologiques déclarés. Toutefois, ils n’assureront jamais une protection parfaite contre le vol de biens culturels. Au regard des compétences déjà grandes, et qui s’améliorent encore, des voleurs et des pilleurs, la sécurité vise surtout à empêcher l’enlèvement illicite des biens culturels. En cas de vol, l’inventaire reste la meilleure mesure de précaution, car c’est le seul moyen de récupérer le bien.
 

Le triangle de sécurité.