La question de savoir où se produit le trafic illicite peut être divisée en deux parties : « D’où les objets proviennent-ils ? » et « Quels pays et régions sont les plus impliqués et affectés ? ».
La réponse est plus complexe que ce qu'on pourrait croire. Le vol d'objets peut se produire dans différents lieux : aussi bien sur les sites archéologiques (y compris les sites sous-marins) que dans les lieux de conservation publics ou privés (musées, églises, châteaux, maisons, etc.).
Le trafic d'objets en provenance de sites archéologiques est essentiellement imputable à une protection inadaptée. Celle-ci peut s’expliquer par des financements insuffisants, par la taille et la nature de la zone à protéger, et par l'absence d'inventaire et de réserves sécurisées pour les objets mis au jour, par exemple. Les pays où le patrimoine et les sites archéologiques sont à la fois variés et abondants sont par conséquent fortement exposés aux fouilles illégales.
Le trafic du patrimoine subaquatique est un problème particulier qui devient de plus en plus inquiétant. Les épaves et sites archéologiques sous-marins sont une cible alléchante pour les pillards, dans la mesure où les objets mis à jour sont généralement de qualité, et les autorités nationales rencontrent des difficultés à contrôler l'espace maritime.
Antiquités subaquatiques. Photo : UNESCO
Dotés d'un système de sécurité limité, les églises et lieux de culte sont parfois isolés et doivent rester relativement ouverts au public, ce qui en fait des espaces très vulnérables. De plus, la demande en artefacts religieux de tous types a toujours été relativement élevée. Dans certains pays européens, les églises sont les premières victimes de vols.
Même si quelques cas célèbres de cambriolages de musées font parfois les gros titres des journaux, leur nombre a fortement diminué ces dernières années. Cependant, la création de centaines de nouveaux musées dans les pays émergents risque à l’avenir de poser de nouveaux problèmes en termes de sécurité des collections.
Les demeures privées sont elles aussi souvent victimes de ces actes criminels. Le plus souvent, ils sont perpétrés par des malfaiteurs experts qui ciblent des œuvres bien précises, tout comme pour les musées et autres lieux de conservation. Mais, à la différence de ces institutions, les propriétaires privés n'ont généralement pas mis en place les systèmes de sécurité nécessaires pour protéger les objets.
Pays source/pays de destination
Le trafic illicite des biens culturels est souvent organisé selon un même procédé : l'enlèvement d'un bien de son pays d'origine, son transport et son acquisition. Il est important de comprendre les différences entre les trois types de pays concernés, que nous pouvons distinguer de la façon suivante :
- les pays sources, là où les objets sont volés ;
- les pays de transit, par lesquels les objets sont acheminés ;
- les pays de destination, là où les objets sont achetés, vendus ou échangés.
Les différentes caractéristiques des pays sources :
- des difficultés (techniques, humaines ou financières) à assurer la protection de son patrimoine culturel (en particulier des sites archéologiques) ;
- une économie défaillante, ce qui peut inciter des individus ou des communautés à participer à ce trafic lucratif ;
- un patrimoine et une histoire archéologiques riches ;
- une abondance de biens culturels transportables (y compris de nature religieuse) ;
- la survenue de troubles civils, d'un conflit armé ou de toute autre catastrophe naturelle ou du fait de l'homme. Le patrimoine dans les zones de conflits peut se retrouver soudainement exposé à des risques accrus et devoir faire face à une forte augmentation du trafic illicite, comme l'ont montré la révolution égyptienne de 2011 ou le conflit armé syrien.
Compte tenu de ces critères, les pays en développement sont généralement davantage menacés par les vols et les pillages.
Les pays de transit :
On peut expliquer l'existence des pays de transit par plusieurs facteurs : la position géographique centrale entre des pays source et de destination, la présence de réseaux de contrebande et/ou d'organisations criminelles, ou encore un moindre contrôle de la réception et de l'envoi de marchandises.
Pied d'une statue pillée, Koh Ker, Cambodge. Photo : Illicit Cultural Property
Les pays de destination :
Le pays de destination n'est pas toujours celui où l'objet sera vendu ; c'est le pays d'origine de la personne qui achète l'objet. Les pays de destination sont naturellement caractérisés par une forte demande en objets archéologiques et, dans de nombreux cas, par un marché de l'art légal structuré. Certains objets sont revendus à plusieurs reprises sur le marché noir, parfois sur plusieurs décennies, avant de refaire surface dans une vente aux enchères légale avec ce qui semble être un titre de propriété valide.
Enfin, un cadre légal insuffisant ou un manque de mesures d'application du droit international relatif au commerce de biens culturels figurent également parmi les principaux éléments qui expliquent le développement d'un trafic illicite des biens culturels, à la fois dans les pays de transit et de destination.
Certains pays, bien que peu nombreux, présentent l'ensemble de ces caractéristiques et peuvent donc être considérés à la fois comme des pays sources, de transit et de destination. D'une part, ils forment une plaque tournante pour les acquéreurs de biens, que ceux-ci soient originaires du pays ou viennent de l'étranger ; d'autre part, leurs biens culturels sont fortement menacés par les vols ou les pillages.
Le Concert de Vermeer, dérobé au musée Isabella Stewart Gardner de Boston en mars 1990. Photo : Wikipédia
Un marché en mouvement : de l'Occident à l'Orient, et vice versa ?
Les objets sont exportés depuis de nombreux pays et vers de multiples destinations. Traditionnellement, l'Amérique du Nord et certains pays d'Europe de l'Ouest étaient considérés comme les principaux pays de destination. Bien que ces régions restent des destinations de choix, le marché actuel semble avoir modifié cette tendance en se tournant progressivement vers l'Orient. De plus en plus de pays asiatiques et moyen-orientaux participent activement au marché de l'art, en achetant des biens qu'ils importent.
Le déclin du commerce illégal de biens culturels en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest est essentiellement dû à un durcissement des législations nationales, qui permet une meilleure exécution des lois internationales, telles que la Convention de l'UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels 1970.
Tout comme les autres marchés de l'art (de l'art contemporain, moderne, etc.), le marché des antiquités se déplace et évolue. La tendance actuelle semble indiquer que le commerce légal des biens culturels s'est déplacé vers le Moyen et l’Extrême-Orient, avant d'être imité par le marché illicite. Le trafic illicite des biens culturels évolue en parallèle du marché légal, en partie à cause de la règle de base de l'offre et de la demande.
Le cas des zones de conflits
Malheureusement, le vol de biens culturels se produit dans le monde entier. L'intérêt grandissant porté par les médias sur ce sujet semble indiquer que seules les zones de conflits ou les pays les plus vulnérables économiquement sont touchés. Nous savons que c'est faux.
Si l'on peut constater une augmentation de ces actes regrettables en 2011, 2012 et 2013, en partie à cause des conflits militaires, d'une meilleure couverture médiatique et d'un plus grand intérêt des médias et du grand public, ce qui nous apparait comme une « tendance grandissante » n'est peut-être en réalité qu'une « meilleure prise en compte » du problème. L'opinion publique commence à percevoir ces actes, non plus comme de simples vols d'objets archéologiques ou ethnologiques sur des sites ou dans des musées, mais comme des crimes graves qui, non seulement contreviennent aux lois, mais également aux valeurs éthiques.
Néanmoins, les zones de conflits restent des lieux particulièrement vulnérables. Le chaos généralisé et les conditions bien particulières dans les pays touchés par un conflit limitent les ressources (gardiens, etc.) à la disposition des musées et des sites. Le travail des pillards et voleurs, qu'il s'agisse de simples membres de la population locale, de soldats (de quelque camp qu'ils soient) ou de criminels, s'en trouve donc facilité.
Un tank de l'armée américaine prend position à l'extérieur du musée national d'Irak à Bagdad, le 16 avril 2003. Photo : National Geographic News